«Avec eux et pour eux», c’est le refrain qui a rythmé mon hospitalisation. Ce texte est une expérience spirituelle, pas un passage obligé. La seule certitude, c’est que je dois vous la livrer. Je ne comprends pas pourquoi. C’est aussi comme cela que je suis votre pasteur.
Coup de poignard dans l’abdomen, douleur insupportable, service des urgences, tout va très vite.
Chambre d’hôpital, ballet des soignants, cloué au fond du lit, douleurs aiguës, morphine, antibiotique, perfusion.
Passer de conduire sa vie à se laisser faire, avoir confiance. Perte des repères, diète complète, nuits et jours se confondent, les visites s’estompent derrière la douleur, la morphine, léthargie qui gagne.
Progressivement le corps se calme, dans mon esprit une évidence se fait jour ;« Accueillir, consentir à ce qui fait ma vie aujourd’hui»
Non pas désirer la douleur, mais l’accueillir quand elle se présente.
Grande paix.
Mon travail désormais est de rester ouvert. Un nouvel état de conscience, libre face à la douleur.
Ne pas me laisser emprisonner. Etre là ! Laisser mon esprit raisonner, sans introspection, sans chercher, accueillir.
Grande paix, ni peur, ni angoisse. Humaniser ces instants en faisant ce qui m’appartient, vivre et penser l’instant présent.
Je reste longtemps béant, curieusement sans effort. Bien présent à la réalité, j’apprends la docilité.
Une première question vient, tout doucement, comme une vague sur la grève :
«Qu’est-ce qui est essentiel, là ?»
Ne pas bouger, pour ne pas fuir la question. «Es-sen-tiel» Elle se pose sur moi comme un oiseau sur une branche. Ne pas bouger.
Je me mets à philosopher : «L’essentiel nous préexiste-t-il ou bien…»D’un revers je chasse ces fausses questions qui bouchent les trous. Sans doute un peu apprivoisée, la question n’a pas fui.
L’essentiel est de rester ouvert, pas d’apporter des réponses. En tout cas pas maintenant. La vie s’en chargera, quand je serai prêt.
Mon corps lui même s’ouvre et accueille. Le bistouri ne trouble pas la paix.
Il vient donner corps à mon état intérieur. La douleur me rappelle que je n’avais jamais eu vraiment mal jusqu’à ce jour.
Insupportable.
Dans un réflexe, mes lèvres crient vers Dieu : «Si tu le peux…»
Bien que recousu, mon corps ne s’est pas refermé et mon esprit non plus. Heureusement.
Je refuse de faire de Dieu un antalgique. IL ne m’appartient pas. Je refuse de le convoquer.
Une deuxième douce vague vient s’échouer sur moi :
Solitude.
Je la reçois avec bonheur. Je dois consentir à la Solitude. Grande paix.
«Offrir vos souffrances» me suggère une visite.
Aucun écho. Aucun sens.
En toute quiétude, je refuse Dieu et les discours pieux.
La Solitude. Je suis sûr que c’est par là la bonne direction. La tentation de Dieu disparaît. Je savoure la Solitude. Je reste ouvert.
Seul. Silence.
Troisième vague. Clair de lune. Juste une vision intérieure, sereine et évidente.
Mon lit d’hopital est devenu un lit conjugal. Nous sommes deux.
IL est là, seul, silencieux.
Je suis là, seul,silencieux.
Comme deux amants étendus, je sens la chaleur de son bras contre le mien. Je sens sa peau, c’est la même que la mienne.
Il est douloureux comme moi,
Il est seul, comme moi,
Il est silence comme moi,
Il est impuissant comme moi.
Je suis là où il faut, surtout goûter l’instant. Je sais bien que c’est Lui. Je le reconnais, c’est sa manière de faire.
IL ne m’a même pas conduit là ou j’en suis à cet instant. Il ne me demande rien, il attend.
Je sais que c’est Lui, car il m’a laissé faire, Il m’a fait confiance, m’a laissé suivre mon rythme.
Lui seul sait nous donner ainsi le temps d’aborder la Solitude.
Je sais que c’est Lui car Lui seul sait se retirer pour que l’homme trouve sa dignité. Lui seul sait s’absenter ainsi pour que j’existe. Rien à prouver, Il se réjouit de me voir me trouver, exister.
Grande paix.
James Whitaker