A la lumière du livre de Jonas
Vouloir ce que Dieu veut, désirer ce que Dieu désire, c’est difficile, cela reste un idéal. Dire avec Jésus: «Que ta volonté soit faite et non la mienne», relève de l’héroïsme dont nous nous sentons parfois bien incapables. Surtout si nous avons de bonnes raisons de penser que notre désir est excellent, qu’il n’y a pas à en discuter.
C’est ce qui arrive à Jonas.
C’est un juif de Palestine qui vit à un moment, au Vè siècle environ, où sa petite communauté est franchement intégriste et nationaliste.
Repliée sur elle même, elle est hantée par le péché et nourrit une profonde haine du paganisme.
Il est normal que Jonas soit imprégné de cet esprit comme tout un chacun. Il est pieux, croit profondément en Yahvé, mais a un esprit étroit et beaucoup de malveillance à l’égard des païens.
Et voilà que «la Parole de Dieu fut adressée à Jonas : Allons, rends-toi à Ninive la grande ville et annonce-leur que leur malice est montée jusqu’à moi.»
Tremblement de terre pour Jonas, le zélé, cette mission va à l’encontre de ses idées!
Peut-on appeler des païens à la pénitence? Pour lui, c’est impensable, impossible!
Il se met en route pourtant mais «pour aller à Tarsis, loin de Yahvé. Il descendit à Joppé.»[[un port sur la Méditerranée, à environ 45 kilomètres du temple de Jérusalem]]
Il n’est pas le seul à avoir regimbé devant l’ordre de Dieu. Certains prophètes ont vraiment discuté avec Lui. On peut penser à Moïse ou à Jérémie.
Mais c’est bien différent, car leurs remontrances, leurs plaintes sont bien loin de l’attitude de Jonas qui se dérobe, lui.
Il ne discute pas, la parole de Dieu n’existe pas pour lui, il n’a rien à en faire! Il «descend à Joppé», ce qui marque vraiment son éloignement de Yahvé dont il refuse d’être le messager.
Pour échapper à sa mission, il va se donner de la peine, il commence par marcher, puis il débourse un bon prix pour monter sur un bateau, décidé à aller jusqu’au bout du monde «loin de la face de Dieu»!
Vous connaissez la suite. Sur le bateau, Jonas s’endort alors que survient une forte tempête. On cherche le responsable: c’est Jonas qui n’a pas obéi à Dieu, ce qui provoque un beau scandale auprès des païens que sont les marins. On le jette donc à la mer pour apaiser les flots et les vents, signes certains du courroux de Dieu!
Puis c’est le gros poisson envoyé par Yahvé et la «retraite» de Jonas durant trois jours et trois nuits. C’est alors qu’il rentre en lui-même, prie et se rapproche de Dieu. Va-t-il se convertir?
Il est enfin «vomi» sur le rivage et la Parole de Dieu vient le rejoindre à nouveau.
«Lève-toi, va à Ninive la grande ville et prêche-leur le message que je te dirai» et cette fois, Jonas va à Ninive, il le faut bien! et prêche la conversion; mais voilà, à sa grande déception, il est écouté, et alors qu’il n’a parcouru qu’une petite partie de la cité, tout le monde fait pénitence, depuis le roi jusqu’au petit bétail! Alors Jonas est fâché, il en éprouve, dit la Bible «un chagrin extrême».
Pourquoi? parce que cette conversion prévue et désirée par Dieu n’est pas du tout selon ses idées, ses préjugés de juif nationaliste. Il n’est pas du tout converti! Il est si dépité qu’il en arrive à désirer la mort.
Dieu interviendra pour le faire sortir de cette crise dépressive et lui fera comprendre à quel point il aime les hommes qu’il a créés et que par conséquent, «il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive», comme le dira Jésus dans l’Evangile.
Voilà la pédagogie de Dieu à l’égard d’un Jonas désobéissant et têtu, qui refuse d’entrer dans le plan d’amour et de miséricorde de Dieu. Le récit est plein d’humour et l’auteur, anonyme, nous donne une belle leçon d’universalisme.
Quel que soit son pays, sa race, sa religion, Dieu est le Dieu de chaque homme.
Ne sommes nous pas un peu Jonas, de temps en temps, avec nos indignations devant ce qui nous paraît inacceptable, devant nos désirs de vengeance ? N’en arrivons-nous pas parfois à désirer la disparition de quelqu’un qui nous importune ou qui n’a pas nos idées tout simplement?
Combien de progrès restent à faire en matière d’oecuménisme entre chrétiens bien sûr, mais aussi entre catholiques de différentes tendances, entre catégories sociales, entre habitants de pays différents, de races différentes? Combien de barrières à dépasser pour entrer dans le projet du Seigneur Jésus «Que tous soient un comme nous sommes uns»(Jn 17)
Jésus nous dit encore, et ces paroles sont véritablement son testament :«Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés»(Jn 15).
Comme il est difficile d’aimer ! Comme ce désir radical de Dieu est souvent loin de notre désir, de nos possibilités aussi!
Aimer ses ennemis comme Jésus l’a fait, n’est pas à notre portée sans la grâce de Dieu.
C’est lui seulement qui peut réaliser ce miracle en nous, à condition que nous le lui demandions.
Reconnaître notre Dieu, un Dieu qui a des désirs pour nous, mais respecte notre liberté, exige notre consentement à son action quelle qu’elle soit.
Entrer profondément dans le désir de Dieu, ce n’est pas facile, nous l’avons dit. Le portrait de Jonas, tel que la Bible nous le présente, ne serait-il pas tout simplement celui d’un croyant qui n’est pas à l’aise dans sa foi ? Il croit en un Dieu Créateur de tous les hommes, en un Dieu plein de bonté et de miséricorde à l’égard du peuple juif, mais il ne croit pas que cette bonté, cette miséricorde puisse s’étendre à des non-juifs, à des païens. Sa foi est incomplète et c’est ce qui explique sa révolte contre Dieu.
La foi authentique construit et unifie le croyant, alors que les contradictions d’une foi mal acceptée et mal vécue, blessent l’homme qui est alors en guerre contre Dieu et contre lui-même.
Alors pour arriver à la paix avec Dieu et avec nous-mêmes, nous sommes invités à accepter tout simplement le réel, notre vie telle qu’elle est, avec ses souffrances et ses joies, notre état de santé, notre situation, à recevoir ceux qui nous sont donnés, enfants, parents, amis, voisins, tels qu’ils sont et non pas tels que nous les rêvons. Ils nous sont donnés comme des cadeaux.
Ce n’est pas, bien sûr, que nous renoncions définitivement à améliorer les gens, les choses, les situations, ce n’est pas que nous renoncions à nous soigner par exemple, à nous battre contre la maladie.
Ce n’est pas non plus que nous renoncions au dialogue, aux négociations pour favoriser l’entente et la paix.
Ce ne serait pas respecter le plan de Dieu, qui veut que nous soyons des vivants, que nous soyons heureux, qui nous appelle à l’existence pour que, par nous, s’étende sur la terre son Royaume de paix et de justice.
Le Pape Jean XXIII disait :«Seigneur donnez-moi la force de changer les situations que je peux changer, donnez- moi la force d’accepter celles que je ne peux changer et surtout donnez-moi la grâce de voir la différence entre les unes et les autres».
Il ne s’agit pas en effet de nous résigner et d’accepter toute situation pénible sous prétexte que c’est la volonté de Dieu, c’est du fatalisme et ce n’est pas chrétien. Je crois que nous devons demander l’attention au moment présent, dans un acte d’adoration à ce que Dieu veut de nous. C’est une façon d’accueillir le réel, d’acquiescer à ce que le Seigneur nous offre. Cela exige foi et recueillement.
La Vierge Marie peut nous aider, «elle qui conservait toutes choses en son coeur».
Pour terminer, je vous livre cette prière que j’aime beaucoup, puisse-t-elle nous aider à accueillir notre Dieu dans notre vie de tous les jours.
«Notre Dame, apprends-nous à aimer l’instant présent,
ce présent où Dieu se donne, à vouloir ce que nous faisons,
à vivre la volonté du Père, dans l’amour de ton Fils, dans le vent de l’Esprit».
Magdeleine