Pour accueillir des nouveaux participants dans un groupe constitué depuis déjà longtemps, nous avons été invités, pour faire connaissance, à nous présenter à partir de nos sens. Regarder sa vie ainsi lui donne une saveur que je n’aurais pas imaginée. Essayer, vous verrez…
Le grondement d’un torrent large et impétueux, à proximité de notre maison a bercé mon enfance, en montagne jusqu’à l’âge de 7 ans. Je l’entends encore.
Les jeux dans la neige, les champs de narcisses à perte de vue, le son des cloches des vaches qui montaient à l’alpage résonnent les jours heureux au milieu de mes frères et sœurs.
Se mêlent aussi à ces souvenirs l’atmosphère feutrée du magasin de laines de mes grands parents où nous passions nos vacances, la douceur des pelotes, et aussi les illuminations du marché de Noël, celles des rues, des magasins.
Les après-midi où ma sœur et moi nous jouions à l’eau dans l’évier de la cuisine avec la connivence merveilleuse de ma grand mère qui nous sortait louches, casseroles, pots de toutes tailles.
Les promenades au bras de mon grand père quand il commençait à être malade.
Puis ce fut l’Oise. Souvent, je guettais papa qui revenait de l’usine et j’allais à sa rencontre. Je lui disais : « Tu sens l’usine » en effet les produits chimiques imbibaient ses vêtements.
Quel bonheur que les vacances à l’île de Ré. Les odeurs d’herbes sèches, les vers luisants qui brillaient dans la nuit, la douceur et la chaleur du sable chaud, le vent et la pluie sur la toile de tente, les courses avec papa sur la plage, le bruit sec des petites boules de varech que nous faisions éclater entre nos doigts avec mon grand père.
Surgissent aussi dans cette évocation de mon enfance mes peurs de petite fille: celle du vent violent dans les branches du cèdre qui risquait de se déraciner et de tomber sur la maison, le ronflement de la chaudière qu’il fallait surveiller quand papa et maman étaient absents.
Plus doux, le souvenir de mes yeux remplis du ciel étoilé que je contemplais sans me lasser, le soir, à la fenêtre de ma chambre et qui me parlait de mon cœur appelé à l’infini.
Souvenir des caresses à notre boxer, celles à mon chat. Je sens encore sa tête posée sur mon bras dans mon lit à l’insu des parents!
Me reviennent aussi les empoignades fameuses avec ma sœur, les griffes et les cheveux que nous nous tirions le plus fort possible!
La couleur bleue de nos dessus de lit, cette salopette à rayures rouges et vertes que je détestais mais qu’il fallait bien mettre puisque maman l’avait préparée la veille.
La douceur des baisers tendresse à notre petit frère, ceux de maman. L’école primaire au village, la blouse grise du maître qui me faisait peur.
Plus tard, à partir de la 6ème, chez les sœurs de Sainte Ursule, le goût âpre des fênes que nous dégustions pendant les récrés dans le parc de l’école.
Des années après, le roucoulement des tourterelles lancinant et doux qui rythmaient la vie du noviciat.
De mes vingt années d’institutrice à l’école primaire , je revois ma boîte de polystyrène lourde de mes affaires d’instit, les dessins pleins de couleurs de mes élèves, la petite maison, fabriquée avec eux et pour eux, les piles de cahiers bleus, rouges, jaunes suivant les matières, les cris joyeux des récrés, les regards confiants, la chaleur des petites mains glissées dans les miennes, l’atmosphère heureuse, la connivence entre mes élèves et moi.
La petite école du village, dans le Berry, les vieilles pierres, les jolies places ombragées de marronniers sur lesquelles nous faisions de la gym, l’odeur de renfermé de la grande salle avec sa scène de théâtre, comme en vrai.
Aujourd’hui le chemin parcouru me donne de goûter de plus en plus la présence de Dieu en tout ce que je vis.
Au fur et à mesure de mon cheminement j’ai compris combien je suis sensible à la beauté, à l’harmonie des choses et des lieux.
Les toutes petites choses simples font mon bonheur : la nature, les arbres, les chants des oiseux, les fleurs, un insecte, le plaisir de savourer un fruit, une tartine grillée…
la douceur d’une caresse reçue ou donnée, celle d’une main posée affectueusement, un regard, une belle musique, un joli vêtement, un parfum, la chaleur du soleil, toutes ces sensations que je goûte aujourd’hui consciemment et avec action de grâce, les remettant à celui qui en est l’auteur et qui me les offre.
Je crois que je suis de plus en plus reconnaissante de la plus petite parcelle de vie.
La marche dans la nature est l’occasion privilégiée de vivre ces bonheurs dont j’ai parlé. J’ai découvert aussi qu’elle est un moyen très efficace pour apaiser la tendance que j’ai à m’irriter de ce qui n’est pas parfait. Elle m’aide à trouver en moi un espace intérieur de sérénité, de patience et de douceur.
Je crois que j’ai découvert la richesse de mes sens et je les apprécie de plus en plus. Je les développe dans la mesure où mon corps est devenu mon ami. Il m’a fallu apprivoiser mon enfance, mon adolescence, mes premières années de jeune femme pour me réconcilier avec ce corps que je n’aimais pas. C’est chose faite et cela m’émerveille vraiment.
Je suis sûre que c’est grâce à cela que mes sens prennent toute leur mesure et qu’ils sont la source d’immenses bonheurs petits et grands.
Claudine