Il n’est pas facile du tout de vivre certains moments de sa vie.
Il s’agit surtout, lorsque l’âge s’allonge, de réfléchir à ce qui reste du possible à ce que l’on est devenu, au long de ce temps dont on n’a jamais imaginé qu’il serait aussi prolongé.
Tout se complique lorsque la maladie ou l’accident vient perturber un tracé qui semblait pouvoir se prolonger avec la même figure.
Vivre l’accident, la souffrance, le handicap, même s’ils reposent beaucoup de questions, ne sont pas, à mon avis, le plus difficile, surtout si la providence vous donne un bon kiné ou même de bons kinés qui jouent un rôle majeur tant au point psychologique que physique.
J’ai eu cette chance de rencontrer un praticien qui prenne à coeur de me faire faire des progrès rapides et qui a été intraitable quant aux rythmes qu’il entendait donner à ces progrès, tout en m’imposant une gymnastique que je trouvais épuisante mais a permis à mes membres paralysés de retrouver de la souplesse, à la sortie de la maison de rééducation : un kiné qui aime son métier et qui scande les séances avec soin.
Alors, direz-vous, tout est pour le mieux ?
Oui, apparemment, car au vrai, il faut apprendre à vivre avec ce que l’on est devenu.
Des rencontres avec des handicapés m’ont permis de mesurer un peu le chemin à parcourir. Un chemin jamais envisagé, le chemin d’un handicap qui met à part, même si l’on rencontre des exemples de courage qui vous redressent sans discours, sans pour autant vous donner la clef pour sortir de votre désarroi.
La prière est là, bien sûr, et la certitude d’une présence compatissante, mais il reste des moments où la force fléchit et où la vie perd toute sa saveur et où l’on se sent terriblement inutile, un peu comme un objet brisé ou tellement abîmé que seule la poubelle lui conviendrait.
Ce sont des idées qui minent et dont il faut se méfier. Oui. Mais y aurait-il un remède valable ?
J’ai beaucoup réfléchi et il me semble que dans la prière, le Seigneur m’a donné une idée.
Avant toute chose, bien connaître ce dont il s’agit. C’est à dire, aussi objectivement que possible, faire le tour de mon handicap pour pouvoir en faire une offrande vraie qui donne sens à la souffrance, comme une entrée dans le mystère de la Croix dont je ne me suis jamais beaucoup approchée et qui est au centre de ma foi.
Accepter alors les souffrances souvent non volontaires qui accompagnent le handicap et qui peuvent blesser l’amour propre inutilement et accroître le mal. Comme me disait une relation : “Le handicap est une bonne école d’humilité dont il faut profiter.”
C’est vrai et les échanges avec mes amis handicapés affirment la même chose.
L’humilité, pour moi, c’est trouver sa place et reconnaître, sans amertume, la merveille que sont les autres qui m’entourent et dont je pense qu’ils ont pour moi de l’affection ou un certain intérêt. Accepter d’avoir mal et de ne plus pouvoir faire certains gestes ou certaines activités sans douleur, comme si tout cela était naturel, était devenu moi…
Il est capital, me semble t-il, de pouvoir offrir un présent comme j’ai été heureuse d’offrir un jour ma vie et mon devenir à Celui qui en était le créateur.
C’est une lutte qu’il faut que je gagne pour grandir en vérité et pour que ce soit une véritable offrande, pas un geste sans lendemain.
Que ce soit quelquechose qui me construise parce que je le crois et que le Seigneur me fait signe et je crois entendre son désir et sa voix alors que je le prie avec instance de m’éclairer.
(…)
Je rends grâce pour ce qui, au départ m’a semblé au-dessus de mes forces. Le Seigneur peut faire des merveilles et écrire droit avec des lignes courbes. Béni soit-il.
Je crois maintenant qu’il me faut rester à l’écoute et apprendre en vérité l’abandon.
Marie Laetitia